Les révolutions du cerveau, au 21ème siècle, vont-ils bouleverser les études marketing ? Glisse-t-on vers le neuromarketing ? Déjà, médecins ou opportunistes en études sont sur les rangs et prospectent déjà les plus grandes marques, lesquelles s’apprêtent à utiliser des techniques discutables sur le plan humain, apparemment indiscutables sur le plan scientifique. Les neurosciences ont inventé ce terme de « science du consommateur ». Une science ? Le neuromarketing discutable ? A vérifier.
Une « science », dans un champ donné, est la connaissance relative à des phénomènes obéissant à des lois et vérifiés par des méthodes expérimentales. Ses trois composantes sont: l’observation, l’expérimentation et les lois qui en découlent. Les techniques qualitatives ou quantitatives ne sont pas une science, qui consistent à demander à un consommateur un avis forcément orienté, elles ont leur limite même si le chargé d’études est un bon professionnel. Lorsqu’on fait parler un groupe de consommateur sur un produit ou une marque, chacun donne un avis limité par rapport a sujet. Les réactions, les émotions ou les gestuelles peuvent être retenues.
Le livre « Neuromarketing », co-écrit par Olivier Droulers, médecin, avec lequel j’ai eu l’occasion de travailler il y a plusieurs années, est souvent interrogé sur la définition du neuromarketing. Il rend synonymes « neuromarketing » et « neurosciences du consommateur ». Le glissement sémantique de « marketing qui utilise les scanners, les coupes radiologiques, l’étude des zones chaudes ou froides du cerveau » vers « science » peut être discutable. Même si le neuromarketing ne fait que des constats médicaux ou universitaires, et si le consommateur ne parle pas pendant l’expérimentation, puisqu’il n’est exposé qu’aux images et aux sons.
Est-ce manipulatoire ? Non. Mais tout pourrait alors être testé, contrôlé, pour arriver à un objet de communication final (logotype, site Internet, spot TV, architecture d’un magasin, etc.) absolu, unique, un peu comme le profil aérodynamique des voitures, lesquelles finissent toutes par se ressembler. Comme le goût des fromages et la tête des présentateurs TV. Résultat : un lissage qui plaît au plus grand nombre, non segmentant.
Contrairement aux études qualitatives, seul le cerveau réagit en neuromarketing et l’humain ne parle pas. Pas de phénomène de leadership, de décodage de groupe. Pas de complaisance vis-à-vis des résultats apportés aux clients. A moins que les consommateurs choisis pour accepter qu’on leur pose des électrodes sur la tête pour que la marque sache ce qu’ils pensent soient présélectionnés selon une typologie précise. Mais la présélection s’établirait sur quelle base ? Leur déclaratif ? Non, puisque le neuromarketing n’appelle pas de paroles et que le postulat du neuromarketing semble être que « tout individu cache plus ou moins son jeu ». L’état de leur cerveau ? Peut-être, et c’est là que la science commence à trier l’humain, comme l’éleveur trie son cheptel. Ce procédé est difficilement acceptable.
La nouvelle alliée du marketing : la biologie
Le marketing s’est allié à la psychologie. Demain, il s’alliera à la biologie. Le neuromarketing étudie, comprend et explique, comme les études classiques. Il prétend étudier les comportements, les pensées, les perceptions, les mémorisations, implicites ou explicites. La différence est le contexte : pas de questionnaire, pas de groupe consommateur, mais des cadres, des protocoles et des modèles théoriques. Le tout utilisant les technologies des sciences du cerveau.
Au 20ème siècle, on étudiait le cerveau et ses fonctions en analysant des coupes de cerveau d’un individu décédé, ou en comparant des cerveaux malades à des cerveaux sains. C’est le domaine de la neuropsychologie. Les études marketing ne pouvaient tout de même pas travailler sur des morts.
Donc pas de lien entre le psychisme, qui est immatériel et le système nerveux central, qui est biologique. La psychologie a toujours hésité entre « est-ce que c’est mental ? » ou « est-ce que c’est biologique » ? Les études du comportement du consommateur ont, elles aussi, oscillé entre ces deux questions. Au 21ème siècle, opposer le psychique et le neurologique n’est plus de mise, puisque « le biologique crée le psychique, les réseaux de neurones créent les pensées et toutes les cognitions (les traitements d’information) d’un être humain ». Les spécialistes en comportement du consommateur utilisent donc les neurosciences du consommateur.
Le marketing utilisateur de nouvelles techniques
Etudier via l’imagerie de synthèse les réactions immédiates du cerveau, lorsqu’un être humain est exposé, intéresse le politique, la sociologie, la publicité, le design. On peut donc appréhender les réactions liées à une marque, à un concept, à des tests de lancement de produit, à une opération commerciale. Il n’y a qu’à exposer l’être humain à une image, lui décrire un concept, lui montrer un concept-board résumant une marque, ou un schéma. Mais là, pas de retour, pas de discussion possible en groupe. Un constat, c’est tout. Mais les implications financières sont si importantes que le recours à ce type de techniques, encore sous couvert de chercheurs universitaires, semble inéluctable.
Le monde des études va alors, devant les demandes marketing, s’équiper de compétences en neurosciences et psychologie cognitive. De psychocliniciens tout frais sortis d’études de psychologie qui feront le choix non pas de l’hopital, mais de l’alliance avec les marques. Reste à savoir si un glissement aura lieu, si les protocoles d’études plus ou moins fantaisistes utiliseront les résultats de recherches sérieux.
Le problème de l’éthique se pose aujourd’hui tout entier. Acceptera-t-on que le neuromarketing permette d’optimiser un objet de communication ? Quelle sera alors la part donnée à la création ? Et à la liberté de se tromper, finalement… ce qui est le propre de l’humain. Au Clan Communication on attendra un peu.
Le livre Neuromarketing (Dunod, 2010), semble être le livre de référence en la matière. Les auteurs sont Bernard Roullet, maître de conférences à l’université de Bretagne Sud et Olivier Droulers, médecin, professeur à l’université de Rennes1. J’ai travaillé avec Olivier Droulers à la création du département santé de mon agence Le Clan Design (aujourd’hui Proximity BBDO).